La Castelmaure, coopérative florissante des Corbières, a dévoilé cet été son propre conservatoire des cépages, une collection patiemment constituée à partir de ses vignes les plus vénérables. Une manière sage et raisonnée d’envisager son avenir, et plus encore…
Prologue
Jeudi 12 juillet. À la gare de Narbonne, je suis attendu par Bernard Pueyo, l’ancien directeur de la Castelmaure sorti de sa retraite pour me faire l’honneur de me conduire jusqu’au lieu d’inauguration d’une œuvre dont il a permis la concrétisation. Il s’agit d’une parcelle témoin, plantée à partir des variétés de vieilles vignes se trouvant sur l’aire d’exploitation de la coopérative, pour l’essentiel… Une fois sur place, j’ai bravé un fort soleil d’été et, comme tout l’auditoire présent, fus très attentif aux discours des experts qui se sont succédés au micro pour relater les conditions qui ont vu naître ce « jardin » unique en son genre. Il est vrai qu’un intermède inspiré, assuré par Patrick de Marien, président de la coopérative et complice dans le projet, a eu de quoi tenir en haleine un public pas forcément rompu au langage des spécialistes de l’ampélographie. Après quoi, cette sympathique cérémonie a cédé la place à un rassemblement où bonne humeur et décontraction ont été contagieuses, fanfare pêchu et délicieux vins de l’endroit aidant.

Un travail de bénédictin
Conscients du rôle de la biodiversité pour la pérennité de son activité, les responsables de cette coopérative ont acquiescé à l’initiative de la Chambre d’Agriculture de l’Aude pour préserver le patrimoine végétal faisant la richesse de son vignoble. L’aventure commence en 2011, où le duo Pueyo-de Marien ouvre la voie à la compétence d’organismes viticoles patentés pour recenser la typologie des vignes plantées avant l’arrivée des clones, vers 1960. Il s’agit d’un véritable trésor, puisque cet ensemble exempt du mimétisme inhérent au clonage, couvre quelques 200 ha sur les 450 constituant son aire d’exploitation. Conduite avec compétence et ferveur par Didier Viguier, à l’origine du projet, l’opération a porté sur l’examen minutieux de quelques 100 ha de vignes d’un âge moyen de 60 ans. Ce travail de bénédictin a abouti à l’identification de 53 variétés, dont 29 sont des variantes du carignan, espèce dominante dans l’encépagement de la Castelmaure et qui en a démontré les hautes vertus à travers ses vins, petits ou grands. Une fois les spécimens recensés, on a dûment sélectionné des ceps sans maladie pour les planter dans un ordre aléatoire, de manière à souscrire au principe de biodiversité au sein même d’une parcelle. Constitué en 2017 et en 2018, ce plantier, toujours connu vierge de vignes, a été conçu prioritairement pour le carignan, avec l’ambition de devenir un épicentre de son expérimentation.

Au commencement était le Verbe…
Lorsque l’on consulte l’inventaire détaillé des vignes composant le conservatoire, on y découvre le nom de cépages connus ou moins connus, voire inconnus, et donc mentionnés comme tel ! Le carignan occupe bien sûr le terrain et, sauf exception, ses nombreuses déclinaisons sont désignées par des qualificatifs d’avant l’âge des clones, lorsque l’ampélographie mettait de sa poésie pour classifier les variétés. En l’occurrence, l’investigation a donné lieu à une série de baptêmes, puisque les types de plants en question ne sont inscrits dans aucun catalogue dûment établi. Par conséquent, hormis le genre « tétraploïde », désignant un carignan mutant dans la langue savante, on trouve des désignations plus explicites et en rapport avec la morphologie des vignes en question : « baobab », « laineux », « à queue rouges », « grosses dents », etc. Parmi les autres essences répertoriées, on relève l’aramon, qui fit la gloire des « pinardiers » et la misère des vignerons du Languedoc, et l’on redécouvre toute la nomenclature des cépages méditerranéens, y compris des spécimens plutôt exotiques dans le paysage, provenant du Maghreb ou d’Espagne, parvenus ici au gré d’insaisissables pérégrinations. De A à Z, disons plutôt de l’Aubun au Villard, tout est consigné, y compris deux souches génétiquement non identifiées. A ces désignations, on a ajouté celles des parcelles de provenance suivant une toponymie coutumière aux gens du pays, sonnant comme autant de rébus aux visiteurs.
Futur laboratoire
C’est à présent Antoine Robert, le jeune directeur de la Castelmaure, qui veille aux destinées de cet hectare de promesses, dont il prévoit d’ailleurs de parfaire la plantation. Dès que les vignes seront productives, d’ici un an pour certaines, il espère trouver un organisme qui traitera leur fruit sous forme de micro-cuvées, dans le but de repérer les variétés susceptibles de répondre aux enjeux climatiques de plus en plus cruciaux. En cela, il s’accorde parfaitement avec le dessein de Didier Viguier, lequel émet, en connaisseur du problème, le souhait de détecter des souches de carignan susceptibles de mieux résister à l’oïdium, talon d’Achille du cépage. Gageons que cette initiative aux fondements éthiques trouve l’écho qu’elle mérite auprès de tous les acteurs épris d’authenticité et soucieux de la survie d’espèces dont on reconnaît à présent l’aptitude à composer avec les vicissitudes climatiques qui s’affirment avec toujours plus d’acuité.
Epilogue
Lorsque Didier Viguier commença sa carrière, il y a quelques 35 ans, d’ailleurs sur ces mêmes terres, il confie que le discours sur la biodiversité n’était prononcé qu’en catimini, tant le mode du clonage était considéré comme la seule voie de salut pour multiplier et croître le végétal, conformément au principe de précaution qui prévalait alors. Cela ne l’a pas empêché d’œuvrer en précurseur, en faisant ses premières collectes dans le vignoble du Minervois. Là, au cœur et dans le giron de ce qui sera un grand cru languedocien, La Livinière, il repère des vieilles souches très singulières de carignan. Ce travail opiniâtre n’aura pas été vain, car lorsque la biodiversité devient le maître-mot d’une réalité et suscite la création de ce conservatoire, il transplante son fruit parmi les variétés indigènes afin d’enrichir un patrimoine déjà exceptionnel. Il parle alors d’une forme de fraternité interrégionale, les clivages géographiques n’étant plus de mise quand l’avenir de la vigne devient un enjeu majeur.

Je tiens à remercier Bernard, Patrick et Antoine, chefs de file (en exercice ou à titre honoraire) de la Castelmaure, pour leur soutien à ce modeste compte-rendu. Je suis également très redevable à la science de Didier Viguier, si communicatif de sa passion. Et je n’oublie pas Brigitte, pour son accueil chaleureux à L’Embrésienne.