Quel avenir pour l’armagnac ?

Attestée comme la plus vieille eau-de-vie française, produite depuis le milieu du XVème siècle, l’armagnac ne représente plus aujourd’hui qu’une production marginale, surtout par comparaison à son alter ego charentaise, le cognac. Je n’épiloguerai pas ici sur les raisons de cette situation, sauf pour souligner qu’aujourd’hui la consommation des spiritueux en France profite paradoxalement et surtout au whisky et au rhum. Et même si le cognac se porte bien, il faut savoir qu’il s’exporte pour près de 98 % en valeur ! Dans ces conditions, on peut lucidement se demander ce que l’avenir réserve au vénérable armagnac. Petit tour des initiatives qui cherchent à rafraîchir sa conception ou sa perception.

LA BLANCHE D’ARMAGNAC

Dans le cadre des règles de son élaboration, le premier jalon visant à rajeunir l’image de l’armagnac fut posé en 2005, avec la naissance officielle de la Blanche d’armagnac. Ce nom de baptême vient tout naturellement d’une eau-de-vie qui ne vieillit pas dans le bois. En effet, sans la patine procurée par son élevage en fûts et dépourvue des adjuvants autorisés pour sa conception, l’armagnac reste limpide comme tout alcool sortant de distillation.

J’ai été aux premières loges lorsque cette eau-de-vie quintessencielle fut présentée à la presse. Entre confrères et consœurs nous vint spontanément l’idée de la rapprocher du gin. Et c’est presque logiquement sous forme de cocktail que nous l’avions alors appréciée. Depuis, la Blanche d’armagnac n’a rencontré qu’un succès relatif, peut-être à cause de la rupture avec un style ancestral et le savoir-faire qu’il sous-entend. Et puis d’autre eaux-de-vie blanches, et non des moindres, fruits de fortes et lointaines traditions, existaient déjà.

C’est pourtant dans cette voie que des acteurs se sont engagés pour capter l’attention d’une nouvelle clientèle. Ils l’ont fait paradoxalement grâce au renouveau du cocktail, qui a été tel qu’il a donné naissance à un savoir-faire patenté, la mixologie.

… selon RABASTAS

Dans le sillage de cette tendance, Cesar Kuberek, un gersois d’origine argentine, a eu l’intelligence et l’audace d’initier à la Blanche la génération des millennials fréquentant les bars en vogue californiens. Il a ainsi introduit dans ce milieu influent un ingrédient de base des cocktails, comme alternative aux autres alcools blancs en usage. Pour cela, il a endossé le métier de négociant averti pour se procurer une eau-de-vie dont la conception permet d’heureux mariages. Elle provient d’une unique source et se trouve être fruit d’une double distillation, faite dans un alambic de type charentais. Ce mode opératoire pratiqué de surcroît sur du colombard a permis d’obtenir une Blanche bien adaptée à la mixologie. Dans le genre brun ou ambré, notre maître d’ouvrage a fait assembler un 6 ans d’âge dans le fil de la tradition tout en étant compatible avec l’art du cocktail. Dans cet objectif, son exigence l’a poussé à faire appel à un « chasseur de trésors », selon ses propres termes. Par ailleurs, il n’oublie pas les amateurs d’armagnacs de pure dégustation et les gratifie d’eaux-de-vie longuement affinées, Hors d’Age (XO) ou des pépites d’un âge vénérable (25 et 50 ans). Fort d’un estimable succès aux places to be des Etats-Unis, Cesar Kuberek s’engage dans une conquête des hauts-lieux européens des boissons créatives et récréatives, sous le label très gascon de Rabastas.

Blanche : par son velouté et son parfum, elle respire comme une eau-de-vie de marc. Sa légèreté et fraîcheur de texture est animée d’une forte teneur d’où irradie une puissance propre à sa vocation pour pigmenter les cocktails.

6 ans : on fleure le bouquet d’un armagnac d’une belle identité, noblement boisé, avec du velouté, un toucher tendre et l’ardeur propice à d’heureux mariages mixologiques. Il peut tout aussi bien s’apprécier en solo, grâce au charme et à la douceur de son fruit.     

… selon DARTIGALONGUE

Pour ancienne qu’elle soit, cette maison joue également la carte des cocktails en proposant deux eaux-de-vie qui leur sont dédié. Il s’agit d’abord d’une Blanche baptisée « Un-Oaked » (non-boisée), comme par redondance, puisque ce type d’eau-de-vie n’est pas élevé en fût. Cette allusion en clin d’œil à des spiritueux exotiques, doublée d’une étiquette peu conventionnelle affiche un modernisme d’apparence. Sa conception reste en effet classique, hormis une réduction modérée de manière à lui préserver du caractère dans le contexte d’influence aqueuse apportée par des glaçons. Il en est de même pour la présentation de « Dry-Cellar », un armagnac jeune issu d’un court vieillissement de deux ans en fûts de chêne d’essence locale. Le qualificatif « Dry » (sec) s’explique par un séjour partiel des contenants dans un environnement sec, une méthode que cette maison applique à ses armagnacs traditionnels, de manière de leur conférer de la droiture.   

Blanche « Un-Oaked » : ses senteurs comportent un trait de fraîcheur sous forme d’une note anisée-mentholée. Au palais, la substance est coulante et exprime un goût net et fruité (poire), qui renforce d’autant mieux sa vocation que sa puissance n’est pas envahissante et se « distille » en finesse.

« Dry Cellar » : tendre et fruitée, son approche est séduisante. On y apprécie d’autre part une onctuosité élégamment rendue, une puissance équilibrée et au service d’une sève fine et joliment typée.                        

Réinventer l’armagnac

Suffirait-il de rebaptiser les étiquettes d’armagnac de formules anglo-saxonnes pour acquérir un nouveau public ? Il s’agit en tout cas d’une tendance très légitime puisque les consommateurs d’aujourd’hui sont conquis par l’exotisme du whisky ou celui du rhum, qui totalisent aujourd’hui la moitié de la consommation nationale des spiritueux, dont 40 % pour le premier. A cela, il y a l’effet du grégarisme contemporain que renforce une planification des goûts née de méthodes reproductibles, et dont le principal vecteur est l’élevage en fûts de chêne. S’agissant de whisky, la principale source des contenants est le fût à bourbon, issu de chêne blanc, dit américain, dont le pouvoir d’aromatisation est bien supérieur à celui du chêne européen. Son contenu gagne ainsi des arômes flatteurs, évoquant notamment la vanille, ainsi qu’une sucrosité et de l’onctuosité comme corollaires.   

Dans cette considération, il s’agirait d’emprunter des techniques qui font le succès de ces boissons, essentiellement du whisky, afin de reproduire peu ou prou leur bouquet et leur sensation gustative. Seulement, il se trouve que le chêne américain est proscrit dans l’élevage de l’armagnac. D’où l’inventivité de nos distilleurs pour se rapprocher d’un schéma gagnant ou, au contraire, pour explorer de nouvelles pistes au parcours moins suranné. Petit inventaire de ces créateurs …

… selon UBY

Acteur majeur des vins en Côtes de Gascogne, le Domaine Uby maintient avec respect une production d’armagnacs. Et c’est dans l’esprit novateur qui l’anime qu’une cuvée unique en son genre a été conçue. par un style confondant sur sa nature. Pour cela, il a fallu toute la science et le doigté des équipiers de François Morel, l’homme de la situation, pour révéler le schéma organoleptique des spiritueux en vogue sans enfreindre les règles qui font l’armagnac. Pour parvenir à cette fin, on a joué sur la nature des contenants en logeant successivement une eau-de-vie jeune dans des fûts de chêne d’essence et d’âge distincts. Pour les initiés, il s’agit des variétés européennes, dites pédonculées et sessiles, dont l’usage en alternance a donné une heureuse naissance à Uby Oak. Seuls les vers du grand Paul Verlaine pourraient suggérer la sensation olfactive et gustative de cet armagnac tout-à-fait inédit : « ni tout à fait le même ni tout à fait un autre ». Non content de se distinguer de ses pairs, ce singulier spiritueux est logé dans un flacon peu orthodoxe, histoire de rompre avec un univers par trop languissant. Et puisque Uby ne fait rien comme les autres, Uby Oak est gratifié de raisins issus de l’agriculture biologique et renforce ainsi son statut d’armagnac à part entière.    

« Uby Oak » : il captive par une nature aromatique suave et boisée. Plus juteux qu’onctueux, son profil est rendu en souplesse et élégance, sur un goût très persistant, flatté par l’aspect d’une finale au penchant gourmand.

… selon LAGUILLE

Dans cette maison, on a fait fort sur le principe, puisque son bas-armagnac a presque tout de la signalétique d’un whisky single cask. Si elle joue sur les apparences, cette eau-de-vie a bel et bien été élaborée dans les règles, sauf qu’elle a séjourné pendant 6 mois dans un fût ayant justement contenu un whisky, et auparavant un vin de Bordeaux. L’exercice est plus que convaincant puisque le caractère très tourbé du whisky s’est transmis à l’armagnac, faisant un produit parfaitement original, hors tradition. En plus, on a limité sa réduction dans une démarche d’authenticité, toujours à l’instar de son homologue écossais, avec un titre d’alcool respectable.

A côté de cette cuvée, il faut dire confidentielle, Laguille a inauguré en 2017 toute une ligne innovante de bas-armagnacs, y compris sur le plan de leur contenant, puisqu’il s’agit de flacons de 50 cl de forme spécifique, habillés avec une même audace. Le contenu des « Small Batch » est caractérisée par une nouvelle approche de cette eau-de-vie vénérable, privilégiant la transparence du fruit et offrant un profil plus épuré, a contrario du style enrobé inhérent à la tradition armagnacaise.  

« Single Cask » : il surprend d’emblée par une senteur tourbée dominante, qui transporte dans un autre univers. Ce registre atypique se retrouve dans une bouche ample et délicate, qui reste harmonieuse malgré un équilibre chaleureux.    

« Small Batch 10 ans » : un bel effet éthéré rehausse la perception d’une senteur vanillée et participe de sa distinction aromatique. L’ampleur et le relief en bouche forment un cadre de choix pour de mêmes impressions traduites en saveurs, et qui se prolongent indéfiniment sur une note salivante du meilleur effet.     

… selon LABALLE

Si, dans ses millésimés, le domaine de Laballe continuer de perpétuer une tradition d’eaux-de-vie authentiques, sans adjuvants ni réduction, il a fait subir une cure de rajeunissement à une frange de sa production, une collection baptisée « 3-12-21 ». Pas de révolution dans son élaboration, bien au contraire, puisque les eaux-de-vie sont « brut de fût » et reconduisent ainsi leur essence originelle. En fait, la nouveauté vient de l’originalité de l’offre, à savoir une gamme aux âges bien différenciés, avec en conséquence un marquage contrasté des caractères, à l’instar d’une initiation aux saveurs de l’armagnac. Des flacons transparents contribuent à cette forme de pédagogie qui permet en outre de découvrir la gradation des robes procurée par le vieillissement en fût, du jaune doré à l’ambré soutenu.

A côté de cette approche plus contemporaine de l’armagnac, Laballe propose une eau-de-vie tout à fait singulière et dont la raison d’être est implicite dans son intitulé et plus explicite sur le motif de son étiquette. « Résistance », c’est son nom, porte ainsi le dessin d’un insecte : le phylloxéra. Audacieuse, la représentation de la cause d’un immense fléau lève ainsi un tabou pour les raisons que l’on ne sait que trop. En même temps, la survie de la vigne est venue à l’évidence de cépages résistants, en l’occurrence le baco. Issu pour partie de folle blanche, variété dédiée aux eaux-de-vie, le baco est un hybride résistant au phylloxéra. « Résistance » est exclusivement issue de vieilles vignes de ce cépage, qui a lui-même failli disparaître alors qu’il insuffle bien des qualités aux bas-armagnacs. Réminiscence d’une époque troublée, cette cuvée a été élaborée d’une manière intègre, à l’instar des autres produits du domaine.

« Résistance » : il respire une forme de franchise sur un accent éthéré et clairement fruité, et s’exprime en bouche sur un même ton, à travers une matière tactile où la puissance est feutrée et les saveurs boisées et joliment rémanentes.    

… selon DARROZE

A l’image du Domaine Uby, la maison Darroze s’est engagée à promouvoir l’armagnac issu de l’agriculture biologique et lui dédie toute une gamme spécifique clairement baptisée « Biologic ». Pas moins de 5 cuvées ont été élaborées avec cette certification : deux assemblages de 4 et de 7 ans d’âge, et trois millésimés, 2005, 2001 et 2000. Dans cette initiative, il faut souligner l’aspect visionnaire et participatif de cette maison aux côtés des viticulteurs qui se sont investis dans ce mode cultural. Ce qui rassemble en outre ces eaux-de-vie est la folle blanche comme constituant majeur, sinon unique. D’autre part, le fait qu’elles aient été pas ou peu réduites leur donne un caractère entier appréciable.

« 4 ans » : une ardeur de jeunesse donne du brio à cet armagnac, encadrant une matière onctueuse et rehaussant les incidences boisées qui en modèlent la saveur.    

« 2000 » : il rend toute la noblesse de sève propre à une eau-de-vie longuement affinée, cela sans vraiment entamer une expressivité faite d’une texture « juteuse » où le fruit joue encore, et d’une puissance que le temps n’a pas totalement amadouée.  

>> Je tiens à remercier les maisons et domaines cités d’avoir prêté leur concours à cette publication.

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